Les marges gigantesques de la grande distribution

Michel-Édouard Leclerc, le président du comité stratégique des centres E.Leclerc, invité sur BFM Business réclame la levée du dispositif qui impose aux distributeurs de garder une marge de 10% sur leurs ventes. Ce dispositif connu sous le nom de SRP+10 (Seuille de Revente à Perte) a été instauré par la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole (Egalim 1) en 2018 afin de favoriser le revenu des agriculteurs.

Cette loi oblige les supermarchés à vendre un produit au moins 10% plus cher que le prix d’achat au fournisseur. Premièrement, pourquoi intervenir dans l’économie ? Et deuxièmement, pourquoi forcer la grande distribution à se faire de l’argent ? Cela n’a aucun sens.

Ayant découvert cette loi aujourd’hui, j’ai trouvé cela très étrange, on entend régulièrement que la grande distribution se fait des marges gigantesques au profit des pauvres agriculteurs qui n’ont pas de quoi subvenir à leur besoin. Et aujourd’hui on découvre que c’est l’État qui oblige la grande distribution à se faire des marges astronomiques au profit des agriculteurs et que c’est eux-même, via le Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui ont demandé au gouvernement cette réglementation.

Une marge de 10% dans la grande distribution est gigantesque, c’est un secteur avec énormément de volume où les marges sont normalement très faibles de quelques pourcents seulement. Sur des milliers de produits vendus par jour et par magasins, cela réprésente beaucoup d’argent. Pourquoi vouloir engraisser la grande distribution ?

Michel-Édouard Leclerc souhaite supprimer cette réglementation qui ne fonctionne pas. Suite à la montée des prix des denrées alimentaires, il désire supprimer cette loi pour pouvoir diminuer sa marge de 10% et vendre les produits à un moindre coût. Quel méchant patron capitaliste.

Le contrôle des prix ne fonctionne pas

Vouloir réglementer le prix des denrés ne fonctionne pas. Cela a été essayé des centaines de fois, en passant du IIIè siècle sous l’empereur Dioclétien à l’URSS, Cuba ou plus récemment l’encadrement des loyers dans plusieurs grandes métropoles. Pourquoi estimer que cette fois-ci sera la bonne ? Cette fois-ci c’est la bonne, cela va fonctionner, les agriculteurs vont gagner plus d’argent car Carrefour se fait 10% de marge au lieu de 4%. Pourquoi ? Quel est le raisonnement derrière ?

Les différentes possibilités

Quelles sont les éventuelles possibilités suite à l’obligation des grandes distribution de se faire minimum 10% de marge sur les produits vendus ? Le producteur se fait X argent sur le produit créé, il y a différents intermédiaires qui se font Y et la grande distribution qui se fait Z argent sur l’article final vendu. En prenant l’exemple du lait, X correspondrait à ce que l’éleveur gagne sur le litre de lait vendu, Y la coopérative agricole et les différents intermédiaires et Z le magasin E.Leclerc. Comment le fait de jouer sur la variable Z, c’est-à dire la marge du magasin va influencer sur les revenus X de l’éleveur ? Que se passe t-il quand la marge du magasin augmente ?

Option 1, le prix augmente

Suite à la loi Egalim 1, le prix de la denrée alimentaire augmente car le distributeur est obligé d’augmenter sa marge. Le consommateur final ne possède pas le cheat code pour avoir de l’argent à l’infini, il détient une certaine somme d’argent tous les mois à dépenser.

Le client peut choisir d’accepter l’augmentation du prix. Pour compenser, il diminuera ses dépenses annexes (cinéma, restaurant, vêtements, vacances, etc). Personne n’est gagnant à part le supermarché qui se fera davantage de revenus.

Autre possibilité, le prix est trop cher pour le client, il réduit sa consommation. Le supermarché aura plus de difficulté à écouler son stock car ses clients consomment moins de ce produit. Moins de commandes seront faites au distributeur et le producteur initial se retrouvera avec un surplus. Dans l’exemple du lait, l’éleveur produit toujours la même quantité de lait. Si la demande est plus faible, les intermédiaires ne voudront plus acheter son lait et la valeur de son surplus de lait sera moindre. Pour espérer l’écouler, il devra le vendre à un coût plus faible ou alors réduire son nombre de vaches. Dans les deux cas, il encaissera moins d’argent. Il est perdant.

Dernière possibilité, le prix est trop élevé, le client s’oriente vers un produit annexe. Par exemple, si le prix de la viande augmente et devient trop élevé pour les moyens du client, il s’oriente vers une autre catégorie de marchandise comme les plats préparés qui sont moins chers, car les ingrédients proviennent de pays dont les coûts de production sont plus faibles. Même si le supermarché doit se faire une marge de 10% sur ce plat, un augmentation de 10% sur un plat à 2€ est plus faible qu’une augmentation de 10% sur un repas fait maison d’une valeur de 2,50€. Le client consommera alors moins souvent de la nourriture française et se fournira ailleurs, ce qui entraîne des pertes pour les producteurs français.

Nous sommes obligés de manger, si le prix de la séance de cinéma augmente, nous pouvons simplement réduire le nombre de sorties au cinéma; si le prix de la nourriture augmente, personne ne souhaite être en sous nutrition, il faut trouver des moyens alternatifs de subvenir à nos besoins caloriques.

Option 2, le prix reste identique

Pour éviter de perdre des clients, il peut être choisi de garder le même prix. Le supermarché doit garder sa marge de 10%, il faut donc faire des économies ailleurs: les intermédiaires et le producteur. Le producteur se retrouve avec moins de revenus qu’avant. Dans l’exemple du lait, l’éleveur vendra son litre de lait quelques centimes moins cher.

Option 3, un mix des deux premiers

L’option souvent choisie, les supermarchés souhaitent éviter une trop hausse des prix pour rester compétitif face aux concurrents. Le client accepte une partie de la hausse des prix et le reste est pris en charge par les intermédiaires et le producteur.

Autres options ?

Je ne vois pas d’autre choix possible, dans tous les cas le producteur est perdant. “L’imposition d’un seuil de 10% de marge devait permettre d’enrayer la course aux prix bas en magasin et stopper la destruction de valeur des denrées alimentaires”. Seulement le réel n’est jamais loin, les clients n’ont pas de cheat code pour obtenir de l’argent à volonté sinon il suffirait de doubler le prix des denrées pour augmenter les revenus des agriculteurs. Dans ce cas là, pas besoin de Egalim 1 pour résoudre ce problème, mais le monde ne fonctionne pas comme cela.

Des résultats mitigés

La loi Egalim 1 a été mise en place en 2018. Dès 2019, le Sénat a présenté un bilan mitigé. Étonnant ! Qui aurait pu s’y attendre ! Les lois sont souvent créées mais jamais supprimées. Cette réglementation a eu un effet négatif dès sa mise en place. Cet effet était garanti à 100%, il n’y avait aucune chance qu’il y ait le moindre effet positif. Comment le fait de forcer l’augmentation de la marge des distributeurs permettrait d’augmenter les revenus des agriculteurs ? Pourquoi la fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles à forcer ce dispositif ? Pourquoi les députés l’ont voté ? Cela met des bâtons dans les roues à tout le monde et ne profite qu’à la grande distribution. 2000 ans d’histoire et de tentatives avait prévenu que cela ne fonctionnait pas, pourquoi pensaient-ils que cela allait être différent cette fois-ci?

Nous sommes en 2022, cette réglementation existe depuis 4 ans, depuis 3 ans nous avons des résultats qui démontrent que cela ne fonctionne pas. Cependant ce dispositif SRP+10 existe toujours. Pourquoi n’a-t-il pas été supprimé ? Non seulement il existe toujours mais en plus une nouvelle loi Egalim 2 est prévue pour 2023. Est ce que cette fois-ci sera différent ? Réponse: non.

C’est pour cela qu’il est extrêmement important de réfléchir en profondeur avant de voter une loi. Elles sont adoptées puis ne sont jamais supprimées malgré l’effet négatif. Pourquoi me direz-vous ? Je pense pour une raison de sous. Cette loi est en place et il faut un paquet de contrôleur pour vérifier que chaque enseigne respecte ses 10% de marge. Si l’on supprime cette réglementation c’est des postes qui disparaissent et certains sont bien content d’être grassement payer pour faire ce métier. C’est le petit bonus qui fait plaisir, non seulement cette loi ne fonctionne pas et provoque l’effet inverse mais en plus on la garde et elle coûte de l’argent au contribuable!

La Confédération Paysanne, syndicat agricole français, et l’UFC-Que Choisir dénoncent également le SRP+10, qui selon eux, coûte au consommateur sans pour autant faire ruisseler la valeur dans les poches des agriculteurs. C’est bien gentil, mais ne fallait-il pas s’en apercevoir avant sachant que le résultat négatif était garanti ? C’est facile de se plaindre mais il ne faut pas oublier que ce sont eux qui ont voulu mettre en place ces mesures. Quant au ruissellement, qu’espérait-il ? Comment voulez-vous qu’en forçant la grande distribution à faire une marge de 10% cela ait un impact positif sur les agriculteurs ? Forcer une marge de 10% sur les agriculteurs, j’aurais pu comprendre le principe même si j’aurai été contre pour les même raisons, mais là, il n’y avait aucune raison que l’argent “ruisselle”.

C’est en forgeant que l’on devient forgeron

Le dispositif SRP+10 n’a pas été demandé par le secteur de la grande distribution. Dans ce cas là, j’aurais trouvé cela extrêmement honteux qu’une industrie demande à l’État de les obliger à avoir une marge garantie de minimum 10%.

Le résultat était assuré d’être néfaste et j’espère que cela leur servira de leçon, car certe ils se mettent eux-même des bâtons dans les roues mais il ne faut pas oublier que le consommateur final se retrouve à payer ses produits plus cher à cause d’eux ainsi que les frais additionnels que l’État dépense pour administrer ces mesures.

Je pense cependant que cela est ressorti aussitôt comme on a pu le voir plus haut avec la Confédération Paysanne et l’UFC-Que Choisir.

De la malveillance à l’état pur

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, fédération qui a demandé à mettre en place ces mesures a estimé que les distributeurs “pouvaient rogner sur leurs marges”. C’est du diabolisme pur, la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles a demandé à augmenter les marges des distributeurs en espérant une “magie” derrière. Elle fait payer à toute la société le coût de ses mauvaises décisions, refuse d’admettre ses erreurs et demande à ce que les distributeurs rognent sur leurs marges qu’ elle-même leur a forcé d’avoir.

Certaines personnes sont extrêmement malsaines et malhonnêtes. C’est pour cela qu’il est important de comprendre les bases de l’économie et l’histoire de son secteur d’activité. Ces conséquences étaient prévisibles et même assurées. Certains individus refusent toute réflexion, refusent les conséquences de leurs actes et mettent celle-ci sur le dos de quelqu’un d’autre.

Il est indispensable de renoncer à toute relation avec ces personnes pour qu’elles cessent de nuire à la société. Pour que la société évolue il est primordial que les actes aient des conséquences. Si l’acte commis est positif, il faut que l’individu soit récompensé, si l’acte est néfaste comme ici, il faut que les commanditaires en paient pleinement les conséquences. Cela fera réfléchir le prochain qui proposera une mesure aussi nuisible.

Ce comportement vous est sûrement très familier puisqu’il est très présent chez les politiciens.

Bonus

Ne vous inquiétez pas Egalim 2 arrive prochainement et regardez un peu sur quoi travaille le ministère de l’Agriculture. egalim2